Autrefois coupé de l’équipe de son lycée, il est aujourd’hui attendu au sommet de la draft NBA.
LAUREL, Maryland – Tous les lundis matin le North Laurel Community Center réserve un de ses deux terrains de basket pour les joueurs de plus de 50 ans. Cette semaine on peut y rencontrer Ivan Lee, 66 ans, qui travaille son shoot seul sur un panier reculé. Il porte un short, un t-shirt bleu et des lunettes, et son échauffement prend plus de temps que par le passé.
Une fois fatigué, Lee s’accorde une pause et prend le temps de donner son avis sur les principaux espoirs de la draft NBA à venir ce jeudi. Il pense que Lonzo Ball, d’UCLA, est talentueux mais perfectible. Il pense que Jayson Tatum, l’ailier de Duke, pourrait être le premier choix. Mais il pense qu’un joueur se distingue davantage que ces derniers, et ce joueur s’entraine sur un panier de ce même gymnase au sol en caoutchouc.
« C’est lui que je prendrais », dit Lee, en désignant d’un geste de tête l’ancien meneur de l’Université de Washington, Markelle Fultz, qui termine une de ses sessions d’entrainement de deux heures à quelques mètres de là.
Alors qu’il semblait promis aux Celtics avec leur premier choix, des sources ont révélé samedi soir que Boston s’apprêtait à échanger ce choix avec les 76ers. Selon toute vraisemblance Philadelphie devrait sélectionner Fultz.
Le vendredi une source proche du meneur avait déclaré qu’il attendait simplement de voir ce qui allait se passer et qu’il continuerait de se préparer de la même façon qu’il l’avait fait jusque-là.
Alors que de nombreux espoirs NBA ont opté pour des entraineurs de renoms dans des environnements attractifs comme Los Angeles ou Las Vegas, Fultz, 19 ans, a préféré conserver ses habitudes, plus simples, chez lui dans le Maryland. Deux fois par jour il va dans le gymnase qui voudra bien lui ouvrir ses portes, il a même la clé du terrain de son ancien lycée, le DeMatha Catholic High School, où il lui arrivait de rester s’entrainer jusqu’à 3h du matin.
Fultz ne se comporte pas comme quelqu’un qui s’apprête à toucher 6M$ l’an prochain s’il est drafté en première position. Quand il est chez sa mère, il tond la pelouse, fait la vaisselle et dort dans sa chambre d’enfant.
Au printemps dernier, alors que le personnel de DeMatha avait organisé une cérémonie en son honneur, il manqua le début car il était en train de jouer au basket avec des enfants dans le gymnase.
Fultz a une humilité rare chez quelqu’un dans sa situation. Elle lui vient de sa mère, une employée du gouvernement qui faisait tourner seule le foyer familial et qui emmenait Markelle avec elle pour l’aider à nourrir les sans-abris, et ce dès l’école primaire. Cette humilité fut renforcée par les entraineurs de son lycée qui le coupèrent de l’effectif il y a trois ans de cela, une décision qui semble impensable aujourd’hui.
« Il n’était pas vu comme un prodige ou mis sur un piédestal » dit l’entraineur adjoint de DeMatha Corey McCrae. « Et je pense que c’est pour cela qu’il sera une star en NBA, parce qu’il sait ce que c’est que d’être le dernier. Il sait ce qu’on ressent quand tout le monde autour de vous est porté aux nues et que vous n’êtes qu’un gars comme les autres, et il ne veut plus jamais ça. »
Ce matin au centre communautaire, alors qu’un groupe de mères de famille se retrouve à l’extérieur, Fultz travaille son shoot. La veille, il a couru 13km sous une chaleur étouffante et a les jambes encore engourdies.
Un de ses exercices consiste à mettre 13 tirs à trois points sur 20 depuis sept zones du terrain. Dès qu’il rate, il reprend à zéro au même endroit. Le meneur affuté d’1m93 est assez silencieux alors qu’un ami proche, Kenneth Tappin, prend les rebonds pour lui. Quand il parle c’est souvent pour se reprocher un tir raté.
Fultz a une voix douce, les yeux fatigués et une attitude calme, mais malgré cette allure c’est un compétiteur acharné qui considérait même qu’arriver avant ses coéquipiers à la fontaine était une victoire.
Alors qu’il enchaine les tirs à trois points les uns après les autres, deux femmes d’âge mûr font des tours de terrain en jean et sac à dos. On est bien loin du TD Garden.
Au bout d’une heure, Fultz s’accorde une pause. Son maillot violet de Washington est trempé, il en enfile donc un propre, un Nike. Cette même semaine, Fultz signera un contrat longue durée avec le géant à la virgule, mais il garde également le goût des choses simples, comme quand Tappin revient du hall avec deux bouteilles de Powerade que le distributeur lui a donné par erreur.
Avant même que Fultz ne puisse se reposer, un employé du centre s’approche avec un ami et demande une photo et un autographe.
« Regarde, » lui dit le jeune homme, « mon stylo est du vert des Celtics. »
Une coupure difficile à digérer
Markelle Fultz a grandi à Upper Marlboro dans le Maryland, à une trentaine de kilomètres au sud-est de la capitale. Il tomba rapidement amoureux de la balle orange, même si à l’époque son talent n’était pas aussi visible.
Aux camps d’été, alors que les autres enfants étaient déjà partis attendre qu’on les récupère, il restait à shooter jusqu’à ce que sa mère vienne le chercher. En grandissant, il commença à se balader de gymnases en gymnases pour jouer contre des adversaires plus grands, plus forts.
Ebony Fultz voulait que Markelle aille dans une école primaire privée mais n’avait pas les moyens de le faire. Elle économisa donc pour l’envoyer au lycée DeMatha Catholic, célèbre pour son programme de basketball, le lycée a déjà formé 17 joueurs NBA, et Fultz s’est juré d’être le prochain.
Mais durant sa deuxième année il ne faisait qu’1.75 mètre et avait une allure maladroite. Bien que la taille de ses mains et de ses pieds laissaient entrevoir une croissance importante à venir, rien n’indiquait que ses aptitudes allaient évoluer.
« Il était un peu comme Bambi, » raconte McCrae. « Il était long et élancé, il marchait à peine que ses genoux lui faisaient mal. »
Fultz avait montré un certain potentiel pendant sa saison rookie, mais il fut coupé de l’équipe pendant son année sophomore. Mike Jones, le coach, craignait que Fultz ne décide d’aller jouer pour un lycée concurrent, mais il choisit de rester et de jouer avec l’équipe Junior Varsity.
« Markelle n’était pas à DeMatha pour le basketball, » explique sa mère. « Ce n’est pas le lycée qui est venu le recruter. Je voulais qu’il ait une bonne éducation, qu’il soit capable d’écrire une rédaction ou de faire le nécessaire pour entrer à l’université, parce que pour moi il n’était pas envisageable qu’il n’aille pas à l’université. Il allait y aller et je voulais qu’il soit prêt. »
Les débuts à DeMatha furent compliqués sur le plan académique pour Fultz, mais il prit les études très au sérieux. Presque tous les jours à 6h du matin, il allait voir son conseiller d’éducation de son propre chef, parfois même le weekend.
« Pour réviser les mathématiques, il avait des exercices qu’il refaisait non pas une ou deux fois, mais près de six fois, » raconte Joan Phalen, directrice adjointe au soutien scolaire. « Au bout d’un moment je lui disais, ‘Markelle, tu les connais’ et il voulait quand même les refaire encore une fois pour être sûr. »
Sur le terrain par contre il n’avait pas de problème de confiance. Fultz n’avait rien à faire en Junior. Il dominait et son esprit de compétition était contagieux. Ses anciens entraineurs, même s’ils insistent sur l’importance de ce passage en Junior dans son développement, n’hésitent pas à se qualifier « d’idiots » de ne pas avoir vu ce qu’il allait devenir. Ils sont simplement heureux que cette erreur ne se soit pas retournée contre eux.
Fultz finit par être rappelé dans l’équipe pour les dernières semaines de sa saison sophomore.
« Tous les membres de l’équipe ont compris instantanément, c’était lui le patron, » dit Jones. « Il n’y a pas un jour qui passe sans que je remercie Dieu qu’il ne soit pas parti quand on l’a coupé de l’équipe. »
‘Un de moins sur la liste’
Un jour où Fultz jouait avec l’équipe Junior, Raphael Chillious entraineur adjoint de Washington était dans le public en attendant le match de l’équipe de DeMatha. A la pause, ce dernier appela le coach des Huskies Lorenzo Romar.
« Tu vas me prendre pour un fou, mais je suis devant un gamin qui joue en Junior là, » dit Chillious à son chef, « et s’il se développe, on a pas un joueur NBA mais un All-Star. »
Chillious, qui vient aussi du Maryland, partagea cet avis avec des amis qui étaient à ses côtés pendant le match, et ils ne le prirent pas au sérieux. Plus tard dans l’année un de ces amis le rappela.
« Tu te souviens du gamin d’1m75 que tu aimais? » lui demanda cet ami. « Il fait 1m90 maintenant. »
Chillious et Romar partirent donc à l’est pour suivre Fultz dans les divers événements AAU auxquels il participait pendant le printemps, et dès la saison suivante ses performances n’étaient plus un secret pour personne. Il détruisait la compétition.
« Il savait qu’il était meilleur que la plupart des gars devant lui sur les listes des recruteurs, » explique Chillious. « Dès qu’il jouait contre un de ces joueurs ça se passait toujours pareil : ‘Check, check, check. Un de moins sur la liste.’ »
Dès que Fultz commença à éclore, les grandes pontes du basket universitaire se sont tous jetés sur lui. Mais Romar et Chillious avaient déjà développé un lien avec sa famille, et leur loyauté fit la différence.
En Août 2015, Fultz visitait le campus de l’université de Washington avec sa mère. Pendant un trajet en voiture où sa mère était assise à l’avant avec Romar et que Markelle était à l’arrière avec Chillious, il leur annonça qu’il irait dans une université qui aurait envoyé des coachs à tous ses matchs AAU des deux dernières années.
Washington était la seule université correspondant au profil.
Chillious raconte, « j’étais là et je me suis dit, ‘Oh mon dieu, mais c’est nous‘, j’ai écrit un message à Lorenzo qui était assis juste devant moi pour lui dire ‘Oh mon dieu. Je crois qu’il va venir chez nous.‘ »
Deux semaines plus tard, Fultz s’engageait pour les Huskies.
En route pour la NBA
Pendant l’été précédant son entrée à l’université, Fultz est allé au Chili avec la sélection -18 ans de Team USA. Il fut frappé par la précarité dans laquelle vivait les habitants qu’il vit là-bas. Il envoya à sa mère un long message pour lui dire qu’il voulait prendre soin de sa famille tout en ayant un impact ailleurs également.
« Ce n’est qu’une question d’empathie, » dit-il. « Si je vivais là-bas je voudrais que quelqu’un me vienne en aide. »
A Washington Fultz appelait sa mère sur FaceTime tous les soirs, ses coéquipiers le surnommaient « grand-père » parce qu’à chaque veille de match il s’assurait qu’ils étaient tous rentrés chez eux avant minuit.
Quand sa mère est venue lui rendre visite sur le campus, les employés du stade et les fans lui racontèrent des anecdotes sur de petits actes de gentillesse de son fils, comme une femme âgée qui lui dit qu’il l’aidait souvent à se lever de son siège après les matchs.
« Vous élevez vos enfants en essayant d’en faire des gens biens, mais vous ne pouvez pas savoir comment ils se comporteront quand vous ne serez pas là, » dit Ebony Fultz, « d’entendre tous ces gens qui parlent sa bienveillance… Ça me rend encore plus heureuse que ses performances au basketball. »
Fultz a tourné en moyenne à 23.2 points, 5.9 passes décisives et 5.7 rebonds pour sa saison freshman. Chillious le décrit comme un « savant du basket » avec une capacité rare de lire d’un seul regard les rôles de chaque joueur dans une action. Malgré ses statistiques éclatantes, il ne fut pas sélectionné dans les All-American first ou second team, probablement à cause du bilan de Washington de 9-22.
Fultz tournait à 17.6 tirs par matchs, 2.1 de plus que le joueur le plus proche dans une conférence majeure, et il savait ce qui commençait à se dire sur l’impact négatif pour l’équipe de sa mentalité de shooteur.
« Ils disent, ‘Ce n’est pas un joueur collectif, tout ce qui l’intéresse c’est de marquer,‘ » raconte Fultz. « C’est marrant parce que toutes les personnes qui me regardent jouer ou qui me connaissent savent que la première chose que je cherche c’est de passer la balle à quelqu’un d’autre. On me dit même parfois que je passe trop. »
Les équipes NBA n’ont pas été refroidies. La combinaison de longueur, de shoot, de vision de jeu et d’athlétisme de Fultz lui ont permis de se positionner comme le probable premier choix de draft dès le début de saison, et il n’en a pas bougé depuis. On l’a comparé au All-Star des Houston Rockets James Harden, qui fait partie des trois finalistes dans la course au MVP.
« Il a une opportunité d’être le genre de joueurs qu’on ne voit qu’une fois tous les cinq ou dix ans, » dit Chillious. « Si vous lui dites qu’il n’arrivera pas à faire quelque chose, quoi que ce soit, il ira travailler dessus au gymnase que vous soyez là pour le surveilliez ou non. »
Pour Fultz, tout ce qui entoure la draft reste surréaliste. Le mois dernier il était à Washington pour tourner un clip promotionnel pour la NBA. Les consignes étaient simples : il devait simplement dire son nom et qu’il avait toujours rêvé d’être le premier choix de draft.
« Et pendant environ 15 minutes il n’arrivait littéralement pas à le dire sans rigoler » raconte Ashley Walker, assistante de direction à la communication de l’université. « Il n’arrivait pas à se remettre d’être en situation de dire cela. »
Jeudi à Brooklyn, Fultz sera accompagné d’un comité restreint composé de sa mère, sa sœur, ses coachs à Washington et son entraineur de toujours Keith Williams ainsi que sa femme Monica. Ebony Fultz dit qu’elle n’arrivera pas à s’empêcher de pleurer quand le nom de son fils sera appelé, mais qu’au moins elle pourra laisser couler ces larmes rapidement.
Markelle, lui, dit qu’il pleurera certainement après son retour à sa chambre d’hôtel.
Où qu’il aille, il affirme qu’il ne changera pas. Il sera toujours du genre à courir sur deux pâtés de maison pour rendre sa carte bleue à un étranger qui l’aurait oubliée, comme il l’a fait le mois dernier.
« J’ai travaillé pour en arriver là, » dit Fultz, « Mais je veux rester le même que j’étais avant d’y arriver. »
En attendant la suite
Fultz vient de terminer son entrainement au North Laurel Community Center, c’est l’heure du déjeuner. Il veut aller dans sa sandwicherie préférée, Firehouse Subs, et est un peu inquiet que la chaîne n’ait pas de restaurant à Boston. D’ailleurs il n’en revient pas que Chick-fil-A n’en ait pas non plus.
Quand on vient d’avoir 19 ans, c’est le genre de préoccupations que l’on a avant un déménagement.
Quand Tappin – l’ami et partenaire d’entrainement de Fultz – se lève pour vider son plateau après mangé, il fait tomber sa serviette. Fultz la ramasse et l’envoie dans la poubelle comme s’il shootait, il percute Tallin et dit en rigolant qu’il y a faute.
Le restaurant est presque vide, et les personnes présentes ne semblent pas reconnaître Fultz. Cela lui va bien de ne pas être reconnu, voire même d’être ignoré. Mais il sent bien que ce sera de plus en plus rare.
« Ce n’est pas comme si il venait du Dakota du Nord, » dit Walt Booth, un de ses entraineurs AAU. « A D.C. tout le monde connaît les talents du coin, donc de passer d’inconnu ici à célèbre dans le monde entier, on se demande ‘Mais d’où il sort?’ »
« C’est pour ça que beaucoup de gens quand ils le croisent sont incrédules, ‘C’est lui Markelle?’ C’est vraiment le genre de parcours qu’on ne voit qu’une fois dans sa vie. »
Traduction de l’article : The transformation of Markelle Fultz par Adam Himmelsbach pour The Boston Globe réalisée par Arthur Previtera.
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